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" Solo "
À Quimper, en 1981, paraît "Solo" le chant ultime de Xavier Grall, poète breton, catholique et autonomiste libertaire. L’écrivain y conclut sa vie écourtée par le cancer lié au tabagisme par un chant d’adieu à la Bretagne, à la France, aux poètes, aux oiseaux et aux soucis du monde.
Roi des eaux et des mondes
Au revoir et kenavo
Saluez pour moi
François Villon Arthur Rimbaud
Les anciens et les nouveaux
Les voyous et les voyants
Les croyants et les fous
Max Jacob et Verlaine
Perros et Guillaume de Machaut
Je leur offre mon solo
Avec un brin de marjolaineextraits
Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez-vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureuxSeigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleursSeigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années ?Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine !Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du NordJe viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des portsje viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié !La mort vient tôt frapper
à notre porte
les vents d’hiver emportent
les poitrinaires
et pour flétrir les pâles primevères
il suffit que l’ondée se conforte
d’un peu de givre et de Galerne
la vie s’en va la vie s’en vient
ma belle passante mon étrangère
la vie s’en vient la vie s’en va
lonla lonlaine et caeteraS
SOL
L
O
ma rose des vents
mon signe de croixS
O
ILE
O
Mon ex-voto
dans la crypte marine
chantez saxosS
O
L
FOL
stèle et fanal
flamme
amer du littoral
signe vertical
de la raison
face aux fatales démences
de la mer et des lamesJ’aurais aimé chanter le triomphe
des marées à la corne des caps
et la douceur des plages
dans les criques pélagiennes
un orchestre de pianistes
et de harpeurs
eût repris le thème de l’antienne
car je portais dans mon sang
mystique
des hymnes marins
et des fureur liturgiques
j’aurais aimé chanter
les varechs verts
les germons bleus
les daurades d’or
les couleurs et les chaos
par la harpe et le saxo
mon Dieu je vous adore
Orgues de Benjamin Britten
Cuivres de Ludwig Van Beethoven
Les symphonies fusent
dans les rocs d’Ouessant
les tintamarres furieux
fracassent les brisants
qui dira les sonorités multicolores
dans la gorge des rias
les corps morts dansent
les cormorans fustigent les amarres
les coques des naufrages
cognent dans les baies
des oiseaux hurleurs
descendent dans mes veines
mon âme est cette porte battante
ouverte sur la mer
j’attends la fuite des vents
à la renverse
paix sur les noyés et les goémons
paix sur les îles et les quais
mon cœur
tranquille caboulot
à la bonne brise
au-dessus des limons
affiche son enseigne
« Au repos du marin »Solo
Solo de mes noyades
solo de mes sanglots
j’agite des violons brisé
sur mes amours mortes
mes barques chavirées
accrochent des grelots
aux chagrins sourds
qui lentement m’emportent
SoloSolo d’oraisons ferventes
il m’arrive de prier
dans les églises défuntes
Notre-Dame des poètes
mère des Atlantes
pitié pour ce voilier perdu
au large des pâles limbes
SoloSolo de mes années passantes
haleurs et musiciens
désertent les bordées
mon âme est cette Marie-Galante
que défoncent les vins
et les rhums boucanés
SoloSolo de mes pensées dolentes
musiques enfuies motets anciens
tout périt dans les marées violentes
l’Océan tracasse des pianos
à la gueule des chiens
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous issu d’un pays de mer
les tempêtes ont réjoui mon amère jeunesse
la liesse des alizés roulait dans les collèges
les goélands croisaient dans mes classes latines
des Maris Stella à matines
éclataient dans les nefs
les noroîts jouaient de l’harmonium
délirium du graduel
cantique des grèves ivres
O les navires et les chapelles
Etoile de la mer
Qu’ai-je fait de ma chère jeunesse ?
Seigneur me voici c’est moi
dans les bonnes auberges
j’ai traîné ma détresse
les bouteilles entonnaient des pavanes
dans les verres je buvais des rengaines
les bars roulaient comme des rivières
j’ai prié comme jamais dans les ivresses
faisant des femmes des suzeraines
qu’elles fussent allemandes
bretonnes françaises
leur beauté glorifiée par l’absinthe
dissolvait la bassesse
c’était ma tournée aux tables saintes
Seigneur
les bars chantent toujours dans les villes
a santé trop vile les déserte
Je ne vois plus les Belles
qu’au fond de ma mémoire
Brestoises Rhénanes ou Parisiennes
elles ont quitté mon domaine
fermons les persiennes
sur mes cinquante et une années
j’écrase les feuilles mortes
dans les allées
les temps ronge les vies et les grimoires
adieu les Reines les bars et camarades
je tiens comme un pourboire
votre souvenir
adieu mes fêtes et mes délires
adieu mes désiradesSeigneur Dieu
A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de lamer
Voilà et puis encore ceciPar la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement incroyable
De votre création
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards et les milliards
De vos créatures
A présent que les feuilles et les mains
De douce Nature
Me closent les yeux !
Mais Seigneur Dieu
Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue !Poète, écrivain et journaliste breton, Xavier Grall a magnifié la Bretagne dans son œuvre mystique. Il redevient breton lorsqu'il quitte Paris en 1973, pour retourner définitivement dans la région de Pont-Aven, à Nizon, dans la ferme de Bossulan. Il exerce à La Vie catholique, dont il fut le rédacteur en chef, au journal Le Monde, à l'hebdomadaire Témoignage chrétien, et au mensuel Bretagne. Au début des années 1970, il fonde le journal nationaliste breton la Nation bretonne avec Alain Guel et Glenmor, où l'on retrouve ses textes sous le pseudonyme de "Saint Herbot", entre autres. Chaque année une scène du festival des Vieilles Charrues de Carhaix porte son nom.
Tags : poésie, christianisme, tradition
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Commentaires
2Fredi M.Jeudi 3 Août 2023 à 21:48Je préfère ça, même avec le côté tragique.-
Vendredi 4 Août 2023 à 11:32
@ Fredi M. ......
Un côté tragique, légèrement teinté de gratitude et d'espérance. Peut-être ce que les vrais croyants, ayant une vraie foi appellent "allégresse" ?
D'autre plus inspiré que moi a écrit : "Solo est une prière, à l'aube de l'éternité. C'est aussi un hymne formidable à la vie, que les dessins de Grall ajoutés par lui à son texte, rendent encore plus lumineux."
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3Fredi M.Jeudi 3 Août 2023 à 21:554NostalgicJeudi 3 Août 2023 à 22:05@bedeau : Avant ce billet, je pensais que seule mon épouse se souvenait encore de Xavier Grall. Elle vous remercie pour la chanson.
A quand un billet consacré à Georges Rodenbach, voire à Jean-Marie Déguignet ?
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Vendredi 4 Août 2023 à 13:13
@ Nostalgic...
Je ne voudrais pas être malhonnête vis-à-vis de votre épouse : mais,en fait, je ne connais Xavier Grall que depuis quelques mois, après avoir découvert un peu beaucoup par hasard cette vidéo (que je ne recherchais évidemment pas) de Dan Ar Braz (que, lui, je connaissais depuis lurette!), avant, je ne le connaissais pas plus que je ne connaissais Pierre Dudan ou que je ne connais Jean-Marie Déguignet
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5NotBrittonVendredi 4 Août 2023 à 11:39J'avions loupé, *supra*, la référence à Perros, dont les *Papiers collés en font une sorte de Scutenaire -- quelques rares perles, parfois empruntées (i.e. citées), dans un torrent de banalités.
Au cas où vous iriez consacrer un billet à Déguignet (si je ne l'ai pas loupé, si je ne l'ai pas oublié) :
// (reprise d'un passage dans "Votez Fillon !", ailleurs)
Je signale, à tout hasard, les remarquables *Mémoires d'un paysan Bas-breton* de Jean-Marie Déguignet (1834-1905), chez Presses Pocket, à lire *malgré* la recommandation de Michel Polac. L'éventuel lecteur y découvrira plus qu'un personnage étonnant : une forte et attachante personnalité d'autodidacte anarchiste à la française. Incidemment, les propos qu'il tient sur les Bretons semblent lui avoir aliéné la sympathie de nombreux régionalistes qui peuvent *difficilement* l'accuser de ne pas savoir son sujet. Ils ont donc préféré le faire passer pour fou, qui ont exercé une basse vengeance posthume en caviardant le texte -- le préfacier, sorte de bretonnant *arbiter elegantiae*, "assume" avec candeur et fierté la suppression de passages jugés délirants et paranoïaques. Les soviétiques et les mères n'ont pas eu l'exclusivité du procédé consistant à prétendre que ceux qui pensent *mal* sont des malades mentaux.
Dans un monde normal, Déguignet aurait été repéré pour ses qualités intellectuelles et aurait eu une vie moins difficile.
Les passages à citer sont nombreux, qui comportent d'intemporelles leçons, notamment sur la trahison des peuples par leurs meneurs.
"Mais je ne crois pas aux savants, dont la plupart ne sont que des sots et des imbéciles ; ils nous en donnent des preuves tous les jours."
"Un malheureux qui a du savoir est doublement malheureux, à moins qu'il ne soit un grand philosophe."//
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Vendredi 4 Août 2023 à 13:47
@ NotBritton....
Le « dessin » ci-dessus est un des deux que j'ai trouvés, qui ont été réalisés par l'auteur au pastel sur les pages de l'édition originale dont il gardait un exemplaire, dessins repris dans une édition récente.
(qui semblent être le tout début et la toute fin du poème ?)
Sinon, je cherche et recherche et re-re...en vain une autre vidéo dans laquelle (qui ???) récitait un autre (lequel ???) extrait.
Peut-être Grall lui-même, me semble t-il ?
Je n'ai retrouvé que cette page (Solo lu par Le Men), mais ce n'était pas ça du tout ...
à suivre...
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6MildredLundi 7 Août 2023 à 13:02J'arrive un peu en retard, mon bon bedeau, mais j'ai une excuse : j'ai été absente tout le week-end, pour une fête familiale autour d'un duo d'artistes rennais !
Or, et grâce à vous, j'ai pu interroger le jeune musicien sur Xavier Grall que, bien sûr il connaissait, disant qu'il aimerait beaucoup mettre ses textes en musique !
Pour l'instant ce sont ses propres textes - paroles et musique - qu'il interprète avec le concours de ma petite-fille :
https://linkaband.com/douce-revolte
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Lundi 7 Août 2023 à 14:27
@ Mildred...!
Y'a pas de mal à ça, excuse valable !
Je comprends fort bien : "venu, regardu, ecoutu" "Douce Révolte"...
Bravo et longue carrière à Constance et Gauillaume.(aussi sur YouTube !)
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MildredMardi 8 Août 2023 à 10:08
Merci pour eux, mon bon bedeau, je leur transmettrai, et je suis sûre qu'il apprécieront !
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Mardi 8 Août 2023 à 13:45
@ Mildred...
ça doit être coton de mettre les textes de Xavier Grall en musique, c'est déjà de la musique...
Oui
J ’ai rêvé d’un peuple ébloui
De Terre Sainte revenus
Les rois bretons et les bardes
Paysannement
Dans les bombardes
Soufflaient des féeries
Féeriquement
L’ hydromel flambait
Dans les bolées
Et dansaient les villages
Sur les collines
Mais pourquoi cette complainte
Après tant d’allégresse ?
—Pourquoi cette païenne tristesse
Au bout de la quête arthurienne ?
Pleurez collines
Pleurez vallons
Sur les châteaux morts
De la Douloureuse Garde
Aux Bois Dormants
Reposent les épées et les poèmes
Seigneur Dieu
Pourquoi vous cachez vous
Aux yeux de ceux qui vous aimaient...et très marqué d'un point de vue religieux
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