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    Le Chef Seattle, 1786-1866, était un chef amérindien de la tribu des Duwamish

     

    " Le grand chef de Washington envoie un message pour dire qu’il désire acheter nos terres. Le grand chef nous envoie aussi des paroles d’amitié et de bonne volonté. C’est là un geste bien aimable de sa part car, nous le savons, il n’a pas besoin de notre amitié."

    " Mais nous réfléchirons à son offre, car nous savons –si nous ne vendons pas– que l’homme blanc viendra peut-être, armé de fusils, et s’appropriera nos terres."

    Chef SEATTLE

    Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ?

    L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ?

    Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple.

    Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple.

    La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme rouge.

    Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l’homme, tous appartiennent à la même famille.

    Aussi lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu’il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons donc, votre offre d’acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée.

    Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d’événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l’eau est la voix du père de mon père.

    Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës, et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère. Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert.

    Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps, ou le froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L’Indien préfère le son doux du vent s’élançant au-dessus de la face d’un étang, et l’odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi, ou parfumé par le pin pignon.

    L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle.

    La bête, l’arbre, l’homme. Ils partagent tous le même souffle.

    L’homme blanc ne semble pas remarquer l’air qu’il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l’air nous est précieux, que l’air partage son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l’homme blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés. Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si nous décidons de l’accepter, j’y mettrai une condition : l’homme blanc devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères.

    Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre.

    J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Je suis un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister.

    Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ?. Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent.

    Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent est fait des cendres de nos aïeux. Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.

    Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent.

    Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre.

    Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même.

    Même l’homme blanc, dont le dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons, et que l’homme blanc découvrira peut-être un jour, c’est que notre dieu est le même dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le dieu de l’homme, et sa pitié est égale pour l’homme rouge et le blanc. Cette terre lui est précieuse, et nuire à la terre, c’est accabler de mépris son créateur. Les Blancs aussi disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus.

    Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du dieu qui vous a amenés jusqu’à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et l’homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d’hommes, et la vue des collines en pleines fleurs ternie par des fils qui parlent.

    Où est le hallier ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu.

    La fin de la vie, le début de la survivance.

    Chef Seattle, discours adressé au gouverneur Isaac Stevens, 1854 

     

     

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    Dr. Volodymyr & Mr. Zelensky

    Un article (peut-être) un peu long, mais très dense et très précis, et quasiment impossible pour moi à résumer ou à synthétiser.

    ...qui ne fera que conforter ceux qui le pressentaient ou le savaient depuis l'origine et le disaient sous les insultes ou les quolibets

    ...qui ne sauta pas convaincre ceux qui n'y verront qu'une propagande pro-russe de plus, quel qu'en soit l'auteur et le support

    Bonne lecture (20 000 caractères, ça se lit en une bonne demi-heure)......

    paru le 10 juillet dans  "La Tribune Diplomatique Internationale" 

     

    " Dr. Volodymyr & Mr. Zelensky : la face cachée du président ukrainien "

    "Le député suisse et ancien rédacteur-en-chef de la Tribune de Genève, Guy Mettan, dresse le portrait du saltimbanque qui joue le rôle de président de l’Ukraine. Il montre comment cet amuseur public s’est transformé en allié des bandéristes et installe pour eux une dictature."

     

    "Héros de la liberté", "Hero of Our Time", "Der Unbeugsame", "The Unlikely Ukrainian Hero Who Defied Putin and United the World", "Zelensky, l’Ukraine dans le sang" : les médias et les dirigeants occidentaux ne savent plus quels superlatifs utiliser pour chanter les louanges du président ukrainien, tant ils sont fascinés par la "stupéfiante résilience" du comédien miraculeusement transformé en "chef de guerre" et en "sauveur de la démocratie."

    Depuis trois mois, le chef d’Etat ukrainien fait la une des magazines, ouvre les téléjournaux, inaugure le Festival de Cannes, harangue les parlements, félicite et admoneste ses collègues à la tête d’Etats dix fois plus puissants que lui avec un bonheur et un sens tactique qu’aucun acteur de cinéma ni aucun dirigeant politique avant lui n’avait connus.

    Comment ne pas tomber sous le charme de cet improbable Mr. Bean qui, après avoir conquis le public avec ses grimaces et ses extravagances (se promener nu dans un magasin et mimer un pianiste jouant avec son sexe par exemple), a su en une nuit troquer ses pitreries et ses jeux de mots graveleux contre un T-shirt gris-vert, une barbe d’une semaine et des mots pleins de gravité pour galvaniser ses troupes assaillies par le méchant ours russe ?

    Depuis le 24 février, Volodymyr Zelensky a, sans conteste, administré la preuve qu’il était un artiste de la politique internationale aux talents exceptionnels. Ceux qui avaient suivi sa carrière de comique n’ont pas été surpris car ils connaissaient son sens inné de l’improvisation, ses facultés mimétiques, son audace de jeu. La façon dont il a mené campagne et terrassé en quelques semaines, entre le 31 décembre 2018 et le 21 avril 2019, des adversaires pourtant coriaces comme l’ancien président Porochenko, en mobilisant son équipe de production et ses généreux donateurs oligarques, avait déjà prouvé l’ampleur de ses talents. Mais il restait à transformer l’essai. Ce qui est désormais fait.

    TALENT POUR LE DOUBLE JEU

    Cependant, comme c’est souvent le cas, la façade ressemble rarement aux coulisses. La lumière des projecteurs cache plus qu’elle ne montre. Et là, force est de constater que le tableau est moins reluisant : tant ses réalisations de chef d’Etat que ses performances de défenseur de la démocratie laissent sérieusement à désirer.

    Ce talent pour le double jeu, Zelensky va le montrer dès son élection. On rappelle qu’il a été élu le avec le score canon de 73,2 % des voix en promettant de mettre fin à la corruption, de mener l’Ukraine sur le chemin du progrès et de la civilisation, et surtout de faire la paix avec les russophones du Donbass. Aussitôt élu, il va trahir toutes ses promesses avec un zèle si intempestif que sa cote de popularité tombera à 23% en janvier 2022, au point de se faire distancer par ses deux principaux adversaires.

    Dès mai 2019, pour satisfaire ses sponsors oligarques, le nouvel élu lance un programme massif de privatisation du sol portant sur 40 millions d’hectares de bonnes terres agricoles sous prétexte que le moratoire sur la vente des terres aurait fait perdre des milliards de dollars au PIB du pays. Dans la foulée des programmes de "décommunisation" et de "dérussification" entamés depuis le coup d’Etat pro-américain de février 2014, il lance une vaste opération de privatisation des biens d’Etat, d’austérité budgétaire, de dérégulation des lois sur le travail et de démantèlement des syndicats, ce qui fâche une majorité d’Ukrainiens qui n’avaient pas compris ce que leur candidat entendait par "progrès", "occidentalisation" et "normalisation" de l’économie ukrainienne. Dans un pays qui, en 2020, affichait un revenu par habitant de 3726 dollars contre 10 126 dollars pour l’adversaire russe, alors qu’en 1991 le revenu moyen de l’Ukraine dépassait celui de la Russie, la comparaison n’est pas flatteuse. Et on comprend que les Ukrainiens n’aient pas applaudi cette énième réforme néolibérale.

    Quant à la marche vers la civilisation, elle prendra la forme d’un autre décret qui, le 19 mai 2021, assure la domination de la langue ukrainienne et bannit le russe dans toutes les sphères de la vie publique, administrations, écoles et commerces, à la grande satisfaction des nationalistes et à la stupéfaction des russophones du sud-est du pays.

    UN SPONSOR EN FUITE

    En matière de corruption, le bilan n’est pas meilleur. En 2015, le Guardian estimait que l’Ukraine était le pays le plus corrompu d’Europe. En 2021, Transparency International, une ONG occidentale basée à Berlin, classait l’Ukraine au 122e rang mondial de la corruption, tout près de la Russie honnie (136e). Pas brillant pour un pays qui passe pour un parangon de vertu face aux barbares russes. La corruption est partout, dans les ministères, les administrations, les entreprises publiques, le parlement, la police, et même dans la Haute Cour de Justice Anti-Corruption selon le Kyiv Post ! Il n’est pas rare de voir des juges rouler en Porsche, observent les journaux.

    Le principal sponsor de Zelensky, Ihor Kolomoïsky, résident à Genève où il possède des bureaux luxueux avec vue sur la rade, n’est pas le moindre de ces oligarques qui profitent de la corruption ambiante : le 5 mars 2021, Anthony Blinken, qui ne pouvait sans doute pas faire autrement, annonçait que le Département d’Etat avait bloqué ses avoirs et l’avait banni des Etats-Unis en raison "d’une implication pour fait significatif de corruption". Il est vrai qu’on accusait Kolomoïsky d’avoir détourné 5,5 milliards de dollars de la banque publique Privatbank. Simple coïncidence, le bon Ihor était aussi le principal actionnaire du holding pétrolier Burisma qui employait le fils de Joe Biden, Hunter, pour un modeste dédommagement de 50 000 dollars par mois, et qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du procureur du Delaware. Sage précaution : Kolomoisky, devenu persona non grata en Israël et réfugié en Géorgie selon certains témoins, ne risque ainsi pas de venir témoigner à la barre.

    C’est ce même Kolomoïsky, décidément incontournable dans cette Ukraine en route vers le progrès, qui a fait toute la carrière d’acteur de Zelensky et qu’on retrouve impliqué dans l’affaire des Pandora Papers (1) révélée par la presse en octobre 2021. Ces papiers ont révélé que depuis 2012, la chaine de TV 1+1 appartenant au sulfureux oligarque avait versé pas moins de 40 millions de dollars à sa vedette Zelensky depuis 2012 et que ce dernier, peu avant d’être élu président et avec l’aide de sa garde rapprochée de Kryvyi Rih -les deux frères Shefir, dont l’un est l’auteur des scénarios de Zelenski et l’autre le chef du Service de sécurité d’Etat, et le producteur et propriétaire de leur société de production commune Kvartal 95- avait prudemment transféré des sommes considérables sur des comptes offshore ouverts au nom de sa femme, tout en acquérant trois appartements non déclarés à Londres pour la somme de 7,5 millions de dollars.

    Ce goût du "serviteur du peuple" (c’est le nom de sa série télévisée et de son parti politique) pour le confort non-prolétarien est confirmé par une photo brièvement apparue sur les réseaux sociaux et aussitôt effacée par les fact-checkers anti-complotistes, qui le montrait prenant ses aises dans un palace tropical à quelques dizaines de milliers de dollars la nuit alors qu’il était censé passer ses vacances d’hiver dans une modeste station de ski des Carpathes.

    Cet art de l’optimisation fiscale et cette fréquentation assidue d’oligarques pour le moins controversés ne plaident donc pas en faveur d’un engagement présidentiel inconditionnel contre la corruption. Pas plus que le fait d’avoir essayé de dégommer le président de la Cour constitutionnelle Oleksandr Tupytskyi, qui le gênait, et nommé premier ministre, après le départ de son prédécesseur Oleksyi Hontcharouk pour cause de scandale, un inconnu du nom de Denys Chmynal mais qui avait le mérite de diriger l’une des usines de l’homme le plus riche du pays, Rinat Akhmetov, propriétaire de la fameuse usine Azovstal, ultime refuge des *héroïques combattants* de la liberté du bataillon Azov. Combattants qui arborent sur leur bras, dans leur cou, dans leur dos ou sur leur poitrine des tatouages glorifiant le Wolfsangel de la Division SS Das Reich, des phrases d’Adolf Hitler ou des croix gammées, comme on a pu le voir sur les innombrables vidéos diffusées par les Russes après leur reddition.

    OTAGE DES BATAILLONS AZOV

    Car le rapprochement du flamboyant Volodymyr avec les représentants les plus extrêmes de la droite nationaliste ukrainienne n’est pas la moindre des étrangetés du Dr. Zelensky. Cette complicité a aussitôt été niée avec la plus grande virulence par la presse occidentale, qui l’a jugée scandaleuse en raison des origines juives du président, subitement redécouvertes. Comment un président juif pourrait-il sympathiser avec des néo-nazis, par ailleurs présentés comme une infime minorité de marginaux ? Il ne faudrait tout de même pas donner du crédit à l’opération de "dénazification" menée par Vladimir Poutine…

    Et pourtant les faits sont têtus et loin d’être anodins.

    Il est certain qu’à titre personnel Zelensky n’a jamais été proche de l’idéologie néo-nazie ni même de l’extrême-droite nationaliste ukrainienne. Son ascendance juive, même si elle est relativement lointaine et n’a jamais été revendiquée avant février 2022, exclut bien évidemment tout antisémitisme de sa part. Ce rapprochement ne trahit donc pas une affinité mais relève de la banale raison d’Etat et d’un mélange bien compris de pragmatisme et d’instinct de survie physique et politique.

    Il faut remonter à octobre 2019 pour comprendre la nature des relations entre Zelensky et l’extrême-droite. Et il faut comprendre que ces formations d’extrême-droite, même si elles ne pèsent que 2% de l’électorat, représentent tout de même près d’un million de personnes très motivées et bien organisées et qui se répartissent dans de nombreux groupements et mouvements, dont le régiment Azov (cofondé et financé dès 2014 par Kolomoïsky, toujours lui !) n’est que le plus connu. Il faut lui ajouter les organisations Aïdar, Dnipro, Safari, Svoboda, Pravy Sektor, C14 et Corps national pour être complet.

    C14, baptisé ainsi en raison du nombre de mots de la phrase du néonazi américain David Lane ("We must secure the existence of our people and a future for white children"), est l’un des moins connus à l’étranger mais les plus redoutés pour sa violence raciste en Ukraine.  Tous ces groupements ont été plus ou moins fondus dans l’armée et la garde nationale ukrainiennes à l’initiative de leur animateur, l’ancien ministre de l’Intérieur Arsen Avakov, qui a régné sans partage sur l’appareil de sécurité ukrainien de 2014 à 2021. Ce sont eux que Zelensky appelle des "vétérans" depuis l’automne 2019.

    Quelques mois après son élection, le jeune président se rend en effet dans le Donbass pour tenter de réaliser sa promesse électorale et faire appliquer les accords de Minsk signés par son prédécesseur. Les forces d’extrême-droite, qui pilonnent les villes des Donetsk et Lougansk depuis 2014 au prix de dix mille morts, l’accueillent avec la plus grande circonspection car ils se méfient de ce président "pacifiste". Ils mènent une campagne sans pitié contre la paix sous le slogan "Pas de capitulation". Sur une vidéo, on voit un Zelensky blême les implorer : "Je suis le président de ce pays. J’ai 41 ans. Je ne suis pas un loser. Je viens vers vous et vous dis : retirez les armes." La vidéo est lâchée sur les réseaux sociaux et Zelensky devient aussitôt la cible d’une campagne haineuse. C’en sera fait de ses velléités de paix et d’application des accords de Minsk.

    Peu après cet incident, un retrait mineur des forces extrémistes a lieu, puis les bombardements reprennent de plus belle.

    CROISADE NATIONALISTE

    Le problème est que non seulement Zelensky a cédé à leur chantage mais qu’il les rejoint dans leur croisade nationaliste. Après son expédition ratée, en novembre 2019, il reçoit plusieurs leaders de l’extrême-droite, dont Yehven Taras, le chef du C14, tandis que son premier ministre s’affiche aux côtés d’Andryi Medvedko, une figure néo-nazie soupçonnée de meurtre. Il soutient aussi le footballeur Zolzulya contre les fans espagnols qui l’accusent d’être un nazi à cause de son soutien proclamé à Stepan Bandera, le leader nationaliste qui a collaboré avec l’Allemagne nazie pendant la guerre (et avec la CIA après la guerre) et participé à l’Holocauste des Juifs.

    La collaboration avec les radicaux nationalistes est bien installée. En novembre de l’an dernier, Zelensky nomme l’ultra-nationaliste de Pravy Sektor Dmytro Yarosh conseiller spécial du commandant en chef de l’armée ukrainienne et, depuis février 2022, chef de l’Armée des volontaires qui fait régner la terreur à l’arrière. Au même moment, il nomme Oleksander Poklad, surnommé "l’étrangleur" en raison de son goût pour la torture, cher du contre-espionnage du SBU. En décembre, deux mois avant la guerre, c’est au tour d’un autre chef de Pravy Sektor, le commandant Dmytro Kotsuybaylo, d’être récompensé par le titre de "Héros de l’Ukraine" tandis que, une semaine après le début des hostilités, Zelensky fait remplacer le gouverneur régional d’Odessa par Maksym Marchenko, commandant du bataillon ultranationaliste Aïdar, celui-là même auprès duquel Bernard-Henri Lévy se fera une gloire de défiler.

    Désir d’amadouer l’extrême-droite en lui confiant des postes ? Ultra-patriotisme partagé ? Ou simple convergence d’intérêt entre une droite néolibérale atlantiste et pro-occidentale et une extrême droite nationaliste qui rêve de casser du Russe et de "mener les races blanches du monde dans une croisade finale contre les Untermenschen guidés par les Sémites", selon les mots de l’ancien député Andryi Biletsky, chef du Corps national ? On ne sait trop, aucun journaliste ne s’étant hasardé à poser la question à Zelensky.

    Ce qui ne fait aucun doute en revanche, c’est la dérive de plus en plus autoritaire, voire criminelle, du régime ukrainien. A tel point que ses zélotes devraient y réfléchir à deux fois avant de proposer leur idole au prix Nobel de la Paix. Car, pendant que les médias regardent ailleurs, c’est une vraie campagne d’intimidation, de kidnappings et d’exécutions que subissent les élus locaux et nationaux soupçonnés d’être des agents russes ou de connivence avec l’ennemi parce qu’ils veulent éviter une escalade du conflit.

    "Un traitre de moins en Ukraine ! On l’a retrouvé tué et il a été jugé par le tribunal du peuple !" C’est ainsi que le conseiller du ministre de l’Intérieur, Anton Gerashenko, a annoncé sur son compte Telegram le meurtre de Volodymyr Strok, maire et ancien député de la petite ville de Kremnina. Soupçonné d’avoir collaboré avec les Russes, il a été enlevé puis torturé avant d’être exécuté. Le 7 mars, c’est au tour du maire de Gostomel d’être tué parce qu’il avait voulu négocier un corridor humanitaire avec les militaires russes. Le 24 mars, c’est le maire de Kupyansk qui demande à Zelensky de relâcher sa fille enlevée par les séides du SBU. Au même moment, un des négociateurs ukrainiens est retrouvé mort après avoir été accusé de trahison par les médias nationalistes. Pas moins de onze maires sont portés disparus à ce jour, y compris dans des régions jamais occupées par les Russes…

    PARTIS D’OPPOSITION INTERDITS

    Mais la répression ne s’arrête pas là. Elle frappe les médias critiques, qui ont tous été fermés, et les partis d’opposition, qui ont tous été dissous.

    En février 2021, Zelensky fait fermer trois chaînes d’opposition jugées pro-russes et censées appartenir à l’oligarque Viktor Medvedchuk, NewsOne, Zik et 112 Ukraine. Le Département d’Etat salue cet attentat contre la liberté de la presse en déclarant que les Etats-Unis soutiennent les efforts ukrainiens pour contrer l’influence maligne de la Russie…  En janvier 2022, un mois avant la guerre, c’est au tour de la chaine Nash d’être fermée. Après le début de la guerre, le régime fait la chasse aux journalistes, blogueurs et commentateurs de gauche. Début avril, deux chaînes de droite sont également touchées. Channel 5 et Pryamiy. Un décret présidentiel oblige toutes les chaines à diffuser un seul et unique son de cloche, pro-gouvernemental bien sûr. Récemment la chasse aux sorcières s’est même étendue au blogueur critique le plus populaire du pays, le Navalny ukrainien, Anatoliy Shariy, qui été arrêté le 4 mai dernier par les autorités espagnoles à la demande de la police politique ukrainienne. Des attaques contre la presse au moins équivalentes à celles de l’autocrate Poutine, mais dont on n’a jamais entendu parler dans les médias occidentaux…

    La purge a été encore plus sévère pour les partis politiques. Elle a décimé les principaux opposants de Zelensky. Au printemps 2021, le domicile du principal d’entre eux, Medvedchuk, réputé proche de Poutine, est saccagé et son propriétaire placé en résidence surveillée. Le 12 avril dernier, le député oligarque a été interné de force dans un lieu tenu secret, visiblement drogué, privé de visites avant d’être exhibé à la TV et proposé en échange de la libération des défenseurs d’Azovstal, au mépris de toutes les conventions de Genève. Ses avocats, menacés, ont dû renoncer à le défendre au profit d’un proche des services.

    En décembre dernier, c’est Petro Porochenko, qui remontait dans les sondages, qui a été accusé de trahison. Le 20 décembre 2021 à 15h07, on pouvait lire sur le site officiel du SBU qu’il était suspect d’avoir commis des crimes de trahison et de soutien à des activités terroristes. L’ancien président, qui était pourtant un antirusse forcené, se voyait reprocher "d’avoir rendu l’Ukraine énergétiquement dépendante de la Russie et des leaders des pseudo-Républiques sous contrôle russe."

    Le 3 mars dernier, ce sont les activistes de la Gauche Lizvizia qui subissent un raid du SBU et son emprisonnés par douzaines. Puis le 19 mars, la répression frappe l’ensemble de la gauche ukrainienne. Par décret, onze partis de gauche sont interdits, soit le Parti pour la vie, l’Opposition de gauche, le parti socialiste progressiste d’Ukraine, le parti socialiste d’Ukraine, l’union des forces de gauche, les Socialistes, le Parti Sharyi, Les Nôtres, Etat, le Bloc d’opposition le Bloc Volodymyr Saldo.

    D’autres activistes, blogueurs et défenseurs des droits de l’Homme sont arrêtés et torturés, le journaliste Yan Taksyur, l’activiste Elena Brezhnaya, le boxeur de MMA Maxim Ryndovskiy ou encore l’avocate Elena Viacheslavova, dont le père était mort carbonisé dans le pogrom du 2 mai 2014 à la Maison des syndicats d’Odessa.

    Pour compléter cette liste, on mentionnera encore ces hommes et ces femmes déshabillés et fouettés en public par les nationalistes dans les rues de Kiev, ces prisonniers russes battus et dont on tirait dans les jambes avant de les exécuter, ce soldat à qui on avait percé un œil avant de le tuer, ces membres de la Légion géorgienne qui ont exécuté de prisonniers russes dans un village près de Kiev tandis que leur chef se vantait de ne jamais faire de prisonnier. Sur la chaine Ukraine 24, c’est le chef du service médical de l’armée qui indique avoir donné l’ordre de "castrer tous les hommes russes parce qu’ils sont des sous-hommes pires que des cafards."  Enfin, l’Ukraine recourt massivement à la technologie de reconnaissance faciale de la société Clearview afin d’identifier les morts russes et de diffuser leurs photos sur les réseaux sociaux russes en les tournant en ridicule…

    UN ACTEUR À OSCARISER

    On pourrait multiplier les exemples, tant sont nombreuses les citations et les vidéos d’atrocités commises par les troupes du défenseur de la démocratie et des droits humains qui préside aux destinées de l’Ukraine. Mais ce serait fastidieux et contre-productif auprès d’une opinion publique convaincue que ces comportements barbares sont uniquement dus aux Russes.

    C’est pourquoi aucune ONG ne s’en alarme, le Conseil de l’Europe reste coi, le Tribunal pénal international n’enquête pas, les organisations de défense de la liberté de la presse restent muettes. Ils n’ont pas bien écouté ce que le gentil Volodymyr leur avait déclaré lors d’une visite à Butcha début avril : "Si nous ne trouvons pas une porte de sortie civilisée, vous connaissez nos gens, ils trouveront une issue non-civilisée."

    Le problème de l’Ukraine est que son président, bon gré ou mal gré, a cédé son pouvoir aux extrémistes sur le plan intérieur et aux militaires de l’OTAN sur le plan extérieur pour s’adonner au plaisir d’être adulé par les foules du monde entier. N’est-ce pas lui qui déclarait à un journaliste français le 5 mars dernier, dix jours après l’invasion russe : "Aujourd’hui, ma vie est belle. Je crois que je suis désiré. Je sens que c’est le sens le plus important de ma vie : être désiré. Sentir que vous n’êtes pas banalement en train de respirer, marcher et manger quelque chose. Vous vivez !".

    On vous l’a dit : Zelenski est un grand acteur. Comme son prédécesseur qui avait incarné le Dr. Jekill & Mr. Hide en 1932, il mérite de gagner l’Oscar du meilleur rôle masculin de la décennie. Mais quand il devra s’atteler à la tâche de reconstruire son pays dévasté par une guerre qu’il aurait pu éviter en 2019, le retour à la réalité risque d’être difficile.

    Guy Mettan 

    Député au Grand Conseil du canton de Genève (Démocrate-chrétien). Ancien rédacteur-en-chef de la Tribune de Genève et fondateur du Club suisse de la presse. Auteur du livre à paraître "Russie-Occident. Une guerre de mille ans"

     

     (1) vidéo : " 'OFFSHORE 95' : Secrets d'affaire du président Zelensky "

      

    "Serviteur du peuple" : c’est le nom de sa série télévisée, et celui de son parti politique !
    Dr. Volodymyr & Mr. Zelensky
    "Aujourd’hui, ma vie est belle. Je crois que je suis désiré. Je sens que c’est le sens le plus important de ma vie : être désiré. Sentir que vous n’êtes pas banalement en train de respirer, marcher et manger quelque chose. Vous vivez !".
    "Si nous ne trouvons pas une porte de sortie civilisée, vous connaissez nos gens, ils trouveront une issue non-civilisée."

      

     

     

     


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    « Monsieur Camus, qu’est-ce que le “Grand Remplacement” ? »

    (extrait du Journal de Renaud Camus)   

    Plieux, mercredi 10 août 2022, cinq heures de l’après-midi. Voici l’entretien que j’avais donné le mois dernier à l’hebdomadaire allemand Junge Freiheit, et qui ne sera finalement pas publié - mais cette fois-ci c’est plutôt de mon fait, par agacement, car on m’avait demandé dix mille signes questions comprises, et quand j’ai fourni dix mille signes exactement, on m’a expliqué que c’était trop et qu’il fallait couper :

     1. Monsieur Camus, qu’est-ce que le “Grand Remplacement” ?

     - Le changement de peuple et de civilisation. Là où depuis des siècles il y avait un peuple, il y en a un ou plusieurs autres.

     2. Qu’est-ce qui se cache derrière, un complot ?

     - Certainement pas. Le mot est mille fois trop petit. Il s’agit de mécanismes infiniment plus vastes, dont les rouages ne sont pas forcément des hommes, des femmes, des groupes ou des coalitions d’intérêts. Heidegger parle très justement de Machenschaft, en français machination, qui a l’avantage de désigner aussi bien le plan, le projet, que le devenir-machine, la transformation de l’homme en machine, et de l’humanité en machinerie.

     3. Mais c’est ainsi qu’il est presque exclusivement désigné et présenté dans les médias allemands, comme une théorie du complot !

     - Oui, c’est ce que j’appelle dans La Dépossession “la théorie de la théorie du complot”. La plupart des théories du complot s’étant déshonorées ou ridiculisées, un procédé désormais rituel pour tout pouvoir quel qu’il soit est d’appeler mécaniquement “théorie du complot” toute interrogation sur sa nature et ses modes d’exercice.

     4. S’il n’y a pas de complot, que se cache-t-il derrière le Grand Remplacement -qui sont ses acteurs et quelles sont leurs motivations ?

     - Non seulement le Grand Remplacement n’est pas une théorie du complot, mais ce n’est pas une théorie du tout. C’est un constat, un chrononyme, un nom pour une époque d’après son phénomène principal, au même titre que la Grande Peste, le Grand Schisme, la Grande Guerre ou la Grande Dépression. Si gigantesque soit-il, le Grand Remplacement n’est qu’une petite partie de ce que j’appelle le remplacisme global, dont la traduction politique ou plutôt gestionnairemanagériale, est la davocratie, la gestion du parc humain (Sloterdijk) par Davos, par une conception pan-économique du monde : celle des Grands Argentiers, des banques, des multinationales, des fonds de pension, des hedge-funds, des GAFAMs, etc. Autant le Grand Remplacement n’est pas une théorie, mais un constat, tel que je le dresse dans le livre de ce titre, autant le remplacisme global en est une, si l’on veut, telle que je l’expose dans le plus récent de mes ouvrages, La Dépossession. Cette “théorie” repose sur l’observation que le remplacement est le geste central des sociétés industrielles et post-industrielles modernes : substitution, fac-similé, double, contrefaçon, ersatz, faux. Il est à noter que le faux, le mensonge, est au principe même de ces sociétés de la substitution. Elles créent un monde du faux, un réel faux, un faux réel, ce que j’appelle le faussel, en anglais falseal ou fakeal. Un autre nom du remplacisme global est l’artificialisation.

     5. Comment le Grand Remplacement se déroule-t-il ? Quels sont les phénomènes qui font partie du Grand Remplacement ? Qui est remplacé et comment ?

     - Le principal moyen du Grand Remplacement est l’immigration de masse. Cependant il faut noter que le terme d’immigration désigne des phénomènes du XIXe et du XXe siècles, et qu’il est totalement impropre à qualifier ce qui se déroule au XXIe siècle. Il est aujourd’hui un anachronisme. S’en servir encore relève de l’aveuglement actif ou passif, voire d’un mode doux de négationnisme, étant bien entendu que la forme la plus active du négationnisme aujourd’hui, c’est la négation du Grand Remplacement, ou génocide par substitution, pour employer cette fois les mots d’Aimé Césaire, le poète noir et communiste.

    L’avantage du terme Grand Remplacement, en français, c’est qu’il se décline facilement : non seulement il mène au remplacisme global, déjà évoqué, mais il sert à désigner les trois principaux protagonistes du drame : remplacistes, remplaçants, remplacés.

     6. Le Grand Remplacement est-il géré de manière centralisée ou décentralisée ? Ou n’est-il pas du tout dirigé ? Comment ses éléments peuvent-ils alors interagir et le générer s’il n’y a pas de contrôle ?

     - Il n’est certainement pas géré de façon centralisée, ce qui impliquerait une conspiration, pour le coup, ou à tout le moins un dessein. Le Grand Remplacement est une manifestation parmi d’autres de la Machination, le remplacisme global davocratique. La Machine se corrige et se contrôle elle-même, c’est la fameuse “boucle de rétroaction” cybernétique. Tout y est contrôle, à commencer bien sûr par les médias et les juges, mais en allant jusqu’à chacune de nos consciences, telles qu’apprêtées par les industries de l’hébétude : l’école, la télévision, les réseaux sociaux, la sonorisation du monde, la drogue.

     7. Est-il intentionnel, prémédité ? Ses acteurs sont-ils conscients de pratiquer un Grand Remplacement ? Ou le font-ils involontairement ? Comment cela peut-il être le cas ?

     - Il en va de lui comme de la Révolution Industrielle, si vous voulez.  D’ailleurs il est une quatrième ou cinquième Révolution industrielle. Mais cette fois le produit c’est l’homme. L’objectif est l’interchangeabilité générale, que peut seule assurer la liquéfaction de la société, des rites sociaux, de la grammaire et de l’espèce, selon le concept admirable de Zygmunt Bauman.

     8. Qui sont les acteurs ? Quelles sont leurs motivations ?

     - Les acteurs sont vous, moi, la petite bourgeoisie universelle, bien repérée par Giorgio Agamben comme étant "vraisemblablement la forme sous laquelle l’humanité est en train d’avancer vers sa propre destruction". La davocratie est la forme politique mais surtout managériale, cybernétique, de la dictature de la petite bourgeoisie.

     9. Le Grand Remplacement est-il donc peut-être moins une politique concrète qu’un processus social ?

     - C’est quotidiennement une politique très concrète, exprimée par des milliers de lois, de décrets gouvernementaux, d’arrêtés municipaux, de décisions de police, de jugements, d’articles de presse, d’émissions de radio et de télévision, de tweets, de statuts Facebook, de leçons, de cours et de procédés de sélection économiques ou universitaires, etc. C’est aussi bien sûr un processus social, attaché essentiellement à l’écrasement de toutes les différences, de races, de classes, de niveaux culturels et à présent de sexe. Mais c’est surtout une exigence industrielle des Industries de l’homme, celles qui produisent la MHI (Matière Humaine Indifférenciée), liquéfiée pour les bidons du bidonville global, et interchangeable à merci. 

     10. Pourquoi le Grand Remplacement est-il publiquement qualifié de théorie du complot alors qu’il n’en est rien ? Quels sont les motifs de cette présentation erronée ?

     - Le Grand Remplacement, ou génocide par substitution, étant le crime contre l’humanité du XXIe siècle, il doit être à la fois nié et tu par tous les moyens dont dispose le bloc négationniste-génocidaire. L’appeler une théorie du complot n’est qu’un procédé parmi d’autres, et parmi les plus efficaces, de lui dénier toute réalité malgré l’évidence. Il faut noter toutefois que le bloc négationniste-génocidaire, s’il est de plus en plus génocidaire, et plus seulement par substitution (en France il y a cet été cent vingt attaques au couteau par jour), est de moins en moins négationniste, et cela pour deux raisons : d’une part il ne peut plus lutter contre l’évidence, d’autre part il est de plus en plus fier de son crime.

     11. Alors, appeler le Grand Remplacement une théorie de la conspiration, est-ce peut-être en soi une théorie de la conspiration ? 

     - Parler de “théorie du Grand Remplacement”, c’est comme parler de “théorie des chambres à gaz” : du négationnisme pur et simple.

     12. Toutefois, ce terme décrit-il vraiment une réalité ? Ou n’est-il peut-être qu’une fiction : votre vision subjective du monde, mais pas un fait empirique ? Après tout, vous n’êtes pas un scientifique et votre écrit qui fonde le terme n’est pas une étude empirique, mais un essai, donc seulement une réflexion subjective. Sur quelle base pouvez-vous donc prétendre que le Grand Remplacement est une réalité ? 

     - C’est là l’un des thèmes centraux de La Dépossession. En l’occurrence, et sur ce point particulier, la dépossession est double. D’une part, après la mort nietzschéenne de Dieu, la science succède à Dieu et à ses Églises comme instance suprême de la vérité. Mais jamais au cours de l’Histoire ce ne sont Dieu, ni l’Église, ni la science, qui ont dit aux hommes si ce qui survenait survenait. Ce n’est pas la science qui a dit qu’il y avait une Grande Peste, une Guerre de Cent ans, une Guerre de Trente ans, la Révolution française, les guerres napoléoniennes, la Grande Dépression, l’occupation allemande de la moitié de l’Europe. La science, depuis qu’elle a été érigée en instance suprême de la vérité, a dépossédé l’homme de son regard, de son expérience, de son jugement, et même de son chagrin. Or, deuxième degré de la dépossession, ce n’est même pas la science elle-même qui a accompli ce tour de force, mais toute sorte de petites sciences fort peu scientifiques malgré les apparences, et infiniment serviles : la sociologie, la démographie, les statistiques, les chiffres, auxquels on peut faire dire ce que l’on veut. Le Grand Remplacement crève les yeux, et le coeur, mais les Européens s’en remettent, pour s’accorder le droit de juger de lui, à ce qui leur a le plus effrontément menti. Non seulement les sciences humaines n’ont en aucune façon annoncé aux peuples le cataclysme majeur qui se préparait, elles l’ont nié de toute leur énergie, comme elles niaient du même élan l’effondrement du système scolaire et celui de la culture, le lien entre immigration et délinquance, le désastre du paysage, l’artificialisation du monde.

     13. Vous attendiez-vous à ce que ce terme que vous avez créé se répande dans tout le monde occidental ? Êtes-vous surpris ? 

     - Je ne m’étais pas posé la question. Il me paraissait le plus juste, voilà tout.

     14. D’après vous, d’où vient le succès de votre expression ? 

     - Eh bien, évidemment, j’ai tendance à penser qu’il vient de sa justesse, de son adéquation aux processus en cours. Il faut ajouter à cela son extrême plasticité : Grand Remplacement (des races par d’autres races, des peuples par d’autres peuples), Petit Remplacement (des classes par d’autres classes, de la culture par le divertissement), remplacisme globalremplacistesremplaçantsremplacés.

     15. Le terme s’étant répandu, il est naturellement interprété de différentes manières. En effet, rares sont les personnes qui l’utilisent qui ont lu votre essai auparavant et qui s’en tiennent à votre définition. Le terme aurait-il donc une double vie ? D’une part, sous la forme que vous lui avez donnée et à laquelle se réfèrent vos lecteurs et vos adeptes. Mais d’autre part, sous la forme d’interprétations qui n’ont plus grand chose à voir avec votre original, qui le contredisent même, voire qui propagent l’idée qu’il s’agit d’une clique de conspirateurs ?

     - Votre description est parfaite, je n’ai rien à y ajouter.

     16. Votre concept a été repris notamment par le mouvement identitaire, qui en a fait l’une de ses idées directrices, mais aussi par une partie du RN français, Éric Zemmour, Viktor Orban, le chef du FPÖ de l’époque H.C. Strache, une partie de l’AfD allemande et d’autres -alors que Marine Le Pen, à ma connaissance, le rejette. Que pensez-vous de tout cela ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose que les politiques l’adoptent ? Ou en abusent-ils ? Le refus de Mme Le Pen les agace-t-il ? Ou est-ce une bonne chose, car le terme est ainsi moins réduit à un parti ? 

     - Mieux vaut qu’il ne soit pas réduit à un parti, il serait même préférable qu’il ne fût pas réduit à la droite ou à l’extrême-droite. Pour le Grand Remplacement lui-même, il est peut-être trop tard, encore qu’il y ait toujours eu des patriotes à gauche et que la lutte contre le Grand Remplacement est un combat indigéniste et décolonial, anticolonialiste, qui s’inscrit parfaitement dans l’histoire des luttes contre la colonisation et qui, en ce sens, n’est pas particulièrement “de droite”. Quant au remplacisme global, ce devrait être autant et plus un concept de gauche qu’un concept de droite. Hélas, ce sont les valeurs de gauche, égalité et antiracisme, qui servent le mieux la davocratie. 

     17. Les milieux d’extrême droite, jusqu’aux auteurs d’attentats terroristes de droite, ont également adopté votre terme. C’est pourquoi on attribue à ce terme et à vous-même une part de responsabilité dans les attentats et les meurtres commis par ces personnes. Ne devriez-vous pas vous reprocher de “fournir l’idéologie” à ces extrémistes, comme on dit ? Quels sont vos contre-arguments ? 

     - C’est aussi absurde que de reprocher les suicides de la Grande Dépression à un homme qui aurait écrit un livre intitulé La Grande Dépression. Le Grand Remplacement est une monstruosité dont il n’est pas étonnant qu’elle rende les gens fous, voire criminels. Mais ceux qui commettent des crimes prouvent du même coup qu’ils ne sont pas influencés par moi puisque l’épicentre de ma réflexion politique c’est le concept d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisance, de non-violence. C’est parce que je suis contre la violence que je suis contre le Grand Remplacement, qui l’amène partout avec lui. D’ailleurs il a été établi par plusieurs tribunaux que le tueur de Christchurch n’était en aucune façon influencé par moi, dont il ne connaissait sans doute même pas l’existence, ni par mes livres, qui ne sont pas traduits anglais. 

     18.Quel est l’avantage et le succès de pouvoir établir un tel terme dans le débat ? 

     - Tout ce qui concourt à ouvrir les yeux des victimes des industries de l’hébétude est bon.  

     19. Ou bien ce terme n’est-il pas un succès du tout ? Car au moins en Allemagne, il est entre-temps, comme je l’ai dit, publiquement discrédité en tant que "théorie du complot d’extrême droite". Le terme a-t-il donc échoué ? 

     - S’il a échoué, pourquoi m’interrogez-vous ? 

     20. Celui qui veut parler du phénomène du Grand Remplacement en Allemagne ne doit en aucun cas faire une chose : Utiliser le terme ! Car s’il le fait, soit il sera immédiatement exclu du débat, soit on lui imposera au moins un débat sur “l’extrémisme de droite” et la “théorie du complot” qui remplacera le débat sur les phénomènes du Grand Remplacement. Quel est l’intérêt d’une notion qui crée nettement plus de problèmes qu’elle n’apporte d’avantages ? Ne vaut-il pas mieux s’en passer ? 

     - Il est tout à fait possible en effet de se plier au jeu des négationnistes et de n’utiliser que les mots autorisés par eux, ainsi qu’ils l’exigent pour que la vérité du génocide par substitution n’affleure pas.

     

     

    Quelque temps avant cet entretien, le journal "Marianne" avait envoyé M. Daoud Boughezala, un de ses journalistes choc, passer trois jours chez Renaud Camus afin de brosser un portrait de l'écrivain à paraitre dans le numéro du 18 août. Une dizaine de jours seulement avant cette date, lettre polie d'excuses du chef de service : "Pas de portrait, madame Polony, directrice de la rédaction, n'en veut plus."

     


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    FRANCE, 2050 (ou avant ?...)

    Il y a bientôt vingt ans, Jean RASPAIL publiait une tribune dans Le Figaro intitulée "La patrie trahie par la République", dans laquelle il critiquait la politique d’immigration menée par la France. Avec le journal, il a été alors attaqué en justice par la LICRA pour "provocation à la haine raciale". Il a été relaxé.

     

    « J'ai tourné autour de ce thème comme un maître-chien mis en présence d'un colis piégé. Difficile de l'aborder de front sans qu'il vous explose à la figure. Il y a péril de mort civile. C'est pourtant l'interrogation capitale. J'ai hésité. D'autant plus qu'en 1973, en publiant "Le Camp des saints", j'ai déjà à peu près tout dit là-dessus. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon que je crois que les carottes sont cuites.

    « Car je suis persuadé que notre destin de Français est scellé, parce qu'"ils sont chez eux chez moi" (Mitterrand), au sein d'une "Europe dont les racines sont autant musulmanes que chrétiennes" (Chirac), parce que la situation est irréversible jusqu'au basculement définitif des années 2050 qui verra les "Français de souche" se compter seulement la moitié la plus âgée de la population du pays, le reste étant composé d'Africains, Maghrébins ou Noirs et d'Asiatiques de toutes provenances issus du réservoir inépuisable du tiers monde, avec forte dominante de l'islam, djihadistes et fondamentalistes compris, cette danse-là ne faisant que commencer.

    « La France n'est pas seule concernée. Toute l'Europe marche à la mort. Les avertissements ne manquent pas rapport de l'ONU (qui s'en réjouit), travaux incontournables de Jean-Claude Chesnais et Jacques Dupâquier, notamment, mais ils sont systématiquement occultés et l'INED pousse à la désinformation. Le silence quasi sépulcral des médias, des gouvernements et des institutions communautaires sur le krach démographique de l'Europe des Quinze est l'un des phénomènes les plus sidérants de notre époque. Quand il y a une naissance dans ma famille ou chez mes amis, je ne puis regarder ce bébé de chez nous sans songer à ce qui se prépare pour lui dans l'incurie des gouvernances et qu'il lui faudra affronter dans son âge d'homme...

    « Sans compter que les "Français de souche", matraqués par le tam-tam lancinant des droits de l'homme, de "l'accueil à l'autre", du "partage" cher à nos évêques, etc., encadrés par tout un arsenal répressif de lois dites "antiracistes", conditionnés dès la petite enfance au "métissage" culturel et comportemental, aux impératifs de la "France plurielle" et à toutes les dérives de l'antique charité chrétienne, n'auront plus d'autre ressource que de baisser les frais et de se fondre sans moufter dans le nouveau moule "citoyen" du Français de 2050. Ne désespérons tout de même pas. Assurément, il subsistera ce qu'on appelle en ethnologie des isolats, de puissantes minorités, peut-être une quinzaine de millions de Français et pas nécessairement tous de race blanche qui parleront encore notre langue dans son intégrité à peu près sauvée et s'obstineront à rester imprégnés de notre culture et de notre histoire telles qu'elles nous ont été transmises de génération en génération. Cela ne leur sera pas facile.

    « Face aux différentes "communautés" qu'on voit se former dès aujourd'hui sur les ruines de l'intégration (ou plutôt sur son inversion progressive : c'est nous qu'on intègre à "l'autre", à présent, et plus le contraire) et qui en 2050 seront définitivement et sans doute institutionnellement installées, il s'agira en quelque sorte je cherche un terme approprié d'une communauté de la pérennité française. Celle-ci s'appuiera sur ses familles, sa natalité, son endogamie de survie, ses écoles, ses réseaux parallèles de solidarité, peut-être même ses zones géographiques, ses portions de territoire, ses quartiers, voire ses places de sûreté et, pourquoi pas, sa foi chrétienne, et catholique avec un peu de chance si ce ciment-là tient encore.

    « Cela ne plaira pas. Le clash surviendra un moment ou l'autre. Quelque chose comme l'élimination des koulaks par des moyens légaux appropriés. Et ensuite ?

    « Ensuite la France ne sera plus peuplée, toutes origines confondues, que par des bernard-l'ermite qui vivront dans des coquilles abandonnées par les représentants d'une espèce à jamais disparue qui s'appelait l'espèce française et n'annonçait en rien, par on ne sait quelle métamorphose génétique, celle qui dans la seconde moitié de ce siècle se sera affublée de ce nom. Ce processus est déjà amorcé.

    « Il existe une seconde hypothèse que je ne saurais formuler autrement qu'en privé et qui nécessiterait auparavant que je consultasse mon avocat, c'est que les derniers isolats résistent jusqu'à s'engager dans une sorte de "reconquista" sans doute différente de l'espagnole mais s'inspirant des mêmes motifs. Il y aurait un roman périlleux à écrire là-dessus. Ce n'est pas moi qui m'en chargerai, j'ai déjà donné. Son auteur n'est probablement pas encore né, mais ce livre verra le jour à point nommé, j'en suis sûr...

    « Ce que je ne parviens pas à comprendre et qui me plonge dans un abîme de perplexité navrée, c'est pourquoi et comment tant de Français avertis et tant d'hommes politiques français concourent sciemment, méthodiquement, je n'ose dire cyniquement, à l'immolation d'une certaine France (évitons le qualificatif d'éternelle qui révulse les belles consciences) sur l'autel de l'humanisme utopique exacerbé. Je me pose la même question à propos de toutes ces associations omniprésentes de droits à ceci, de droits à cela, et toutes ces ligues, ces sociétés de pensée, ces officines subventionnées, ces réseaux de manipulateurs infiltrés dans tous les rouages de l'Etat (éducation, magistrature, partis politiques, syndicats, etc.), ces pétitionnaires innombrables, ces médias correctement consensuels et tous ces "intelligents" qui jour après jour et impunément inoculent leur substance anesthésiante dans l'organisme encore sain de la nation française.

    « Même si je peux, à la limite, les créditer d'une part de sincérité, il m'arrive d'avoir de la peine à admettre que ce sont mes compatriotes. Je sens poindre le mot renégat, mais il y a une autre explication : ils confondent la France avec la République. Les "valeurs républicaines" se déclinent à l'infini, on le sait jusqu'à la satiété, mais sans jamais de référence à la France. Or la France est d'abord une patrie charnelle. En revanche, la République, qui n'est qu'une forme de gouvernement, est synonyme pour eux d'idéologie, idéologie avec un grand "I", l'idéologie majeure. Il me semble, en quelque sorte, qu'ils trahissent la première pour la seconde.

    « Parmi le flot de références que j'accumule en épais dossiers à l'appui de ce bilan, en voici une qui sous des dehors bon enfant éclaire bien l'étendue des dégâts. Elle est extraite d'un discours de Laurent Fabius au congrès socialiste de Dijon, le 17 mai 2003 : "Quand la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d'une jeune Française issue de l'immigration, ce jour-là la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les valeurs de la République..."

    « Puisque nous en sommes aux citations, en voici deux, pour conclure : "Aucun nombre de bombes atomiques ne pourra endiguer le raz de marée constitué par les millions d'êtres humains qui partiront un jour de la partie méridionale et pauvre du monde, pour faire irruption dans les espaces relativement ouverts du riche hémisphère septentrional, en quête de survie." (Président Boumediene, mars 1974.)

    « Et celle-là, tirée du XXe chant de l'Apocalypse : "Le temps des mille ans s'achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des saints et la ville bien-aimée." »

    Jean RASPAIL- Le Figaro du jeudi 17 juin 2004

     

    Six ans plus tard, Renaud CAMUS pour qui Jean RASPAIL était une sorte de "prophète", décrivait et détaillait ce qu'il appela le "Grand Remplacement", remplacement progressif d'un peuple par un autre peuple, tant des points de vue ethnique et historique que culturel et religieux.

     

     

    NB. J'avais, à une ou deux reprises, cité quelques passages les plus significatifs de cette tribune. J'ai pensé le publier en intégralité au regard des faits-divers inspirés par les "chances pour la France" et de la répétition de nombreux et fréquents "sentiments d'insécurité" populaires... Ça ne sert à rien, mais bon...

     

     

     

     


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  • Un éditorialiste-blogueur (qui n'est pas spécialement mon auteur préféré) vient de publier un article dans "Causeur" (qui n'est pas spécialement ma lecture favorite), mais une fois n'est pas coutume (les passages soulignés le sont par moi) :

     

    L’Europe, c’est la paix… heu… la guerre!

    Jean-Paul Brighelli - 27 avril 2022  

    On nous avait vendu l’Europe comme le bouclier anti-nationaliste qui instaurerait une paix définitive sur un continent labouré par deux guerres mondiales. Nous sommes aujourd’hui forcés d’abandonner ce rêve simpliste : à la remorque des Etats-Unis, l’Europe cherche la guerre, et fait de son mieux pour la provoquer, estime notre chroniqueur :

     

    « Jean Monnet, heureux lascar qui, né en 1888, avait eu l’avantage indéniable de connaître deux guerres mondiales sans en faire lui-même aucune, nous avait vendu la création de l’Europe CEE comme un remède définitif au choc des nations. Banquier aux Etats-Unis à partir des années 1920, promoteur d’une fusion France-Grande-Bretagne (si !) comme aux plus beaux temps de la Guerre de Cent ans, il est resté le petit télégraphiste des Etats-Unis, comme disait De Gaulle qui ne l’aimait guère. Monnet avait refusé de se joindre au projet de "France libre", car il pensait plus utile de se mettre sous la houlette des Anglo-saxons. 

    « Il se fit après-guerre le promoteur d’une Communauté Européenne de Défense, qui mit le Général en fureur et que Mendès-France refusa sagement d’entériner. La création de la CEE, et le ralliement de l’Allemagne à l’OTAN en préambule du Traité de l’Élysée en 1963, c’est l’œuvre de Monnet. Et la décision européenne d’armer l’Ukraine et d’intervenir en douce dans le conflit qui l’oppose à la Russie (le Times affirme que des commandos britanniques sont déjà à l’œuvre là-bas), c’est encore, à distance, l’œuvre de Monnet.

    « Plus de guerres ? Ah oui ? L’UE vient d’envoyer pour 450 millions d’euros d’armes à l’Ukraine -et des "instructeurs" pour aider les Ukrainiens à s’en servir, tout comme les Etats-Unis avaient envoyé des "conseillers" au Vietnam… La Troisième Guerre mondiale est sur les rails, et ceux qui pensent encore que c’est "la faute aux Russes" devraient réviser le jeu des alliances et des tutelles depuis cinquante ans -en particulier la décision de Sarkozy de rejoindre le commandement intégré de l’OTAN, et l’incitation faite à l’Ukraine en 2014 de rejoindre une alliance commandée par les Etats-Unis.

    « À noter que la guerre déclenchée par l’OTAN contre la Serbie à partir de 1999 n’a pas fait bouger un cil à la communauté européenne, qui a applaudi le bombardement de Belgrade et les secours envoyés aux musulmans bosniaques, qui servent aujourd’hui de tête de pont aux menées islamistes et à tous les trafics, d’armes et de d’organes en particulier. Carton plein.

    « Non que je m’indigne de cette supervision américaine de l’OTAN. Il est assez logique, dans une entreprise, de laisser le gros actionnaire décider de tout -n’en déplaise aux petits. Mais le matraquage médiatique sur les exactions de l’armée russe (les soldats ukrainiens, eux, ne violent et ne tuent personne -d’ailleurs ils font des prisonniers de guerre auxquels ils ne pensent même pas à mettre une balle dans la tête) parviendra sans doute à nous convaincre qu’il faut intervenir de façon plus directe dans le conflit.

    « Mais je m’interroge sur la façon dont certains politiques -Macron en tête- vont s’écriant "L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !" comme si c’était un bouclier face à la rivalité américano-russe, alors que nous sommes juste le doigt entre l’écorce et l’arbre. Que les mêmes partis qui dominent la France soient nos mandataires à Bruxelles est un mélange des genres inquiétant : pourquoi défendraient-ils ici une indépendance nationale qu’ils récusent là-bas ?

    « La nation a été la grande absente des récentes élections. La nation et la République, et ce qui les constitue -l’histoire et la culture. Ni Marine Le Pen, qui faute de culture a renoncé à contester l’Europe, ni Eric Zemmour, libéral dans l’âme et qui pense que le libre-échange n’entre pas en conflit avec l’indépendance, ne sont de vrais républicains. Les vrais républicains, ce sont ceux qui à Valmy se sont opposés aux armées coalisées qui voulaient faire l’union européenne sur le dos de la Révolution. Ce sont ceux qui ont lutté contre l’Allemagne -pas ceux qui plus tard ont léché le cul du Deutsche Mark tout-puissant, ou consenti à ce que l’euro soit défini par rapport à ce même Deutsche Mark, sous prétexte de faciliter la réunion des deux Allemagnes- un joli tremplin pour les forces américaines présentes en Europe.

    « Les États-Unis n’ont jamais consenti à une Europe indépendante. Ils mènent une politique de blocs et, dans leur anti-soviétisme perpétué, préconisent l’entrée en guerre des Européens -sans risque pour eux-mêmes. Ça me rappelle la façon dont les seigneurs des guerres médiévales envoyaient la piétaille se faire massacrer en leur lieu et place.

    « J’explique dans mon dernier livre sur l’école que les Européanistes, disciples de Monnet, Giscard and co., ont modifié les programmes scolaires, dans l’étude de la langue ou en histoire, de façon à ce que les petits Français soient dépossédés d’un héritage millénaire. Ils préféraient de très loin des "communautés" qui éclatent le pays façon puzzle à une France unie et forte. Le boulot est fait : désormais, les Français, à quelques exceptions près, sont prêts à admettre qu’il est nécessaire d’aller faire la guerre à l’Est -et d’y mourir, pour la plus grande joie d’Américains qui benoîtement s’offrent à nous vendre du gaz ou du pétrole au prix fort. C’est ce jeu avantageux que défendent parfois à leur insu tous ceux qui aujourd’hui, prêchent un interventionnisme lourd. Le marché a-t-il besoin d’un conflit majeur pour se revitaliser ? Ou plus simplement, la volonté de puissance des Américains et des Russes aura-t-elle raison de la stabilité (relative, mais stabilité quand même) des soixante-dix dernières années ?

    « Quand Paris sera bombardé, nous aurons la réponse. »

     

    " L'Europe, c'est la guerre. " *

    * bref et succinct aperçu de votre aimable participation volontaire spontanée à l'effort hexagonal pour la paix en Ukraine

     

     

     

     


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    « Le verrou qui doit sauter, c’est la Nation »

    « Les structures économiques vont suivre la même évolution que les structures politiques. Dans ce dernier domaine, l’Europe de l’Ouest -c’est-à-dire les six pays du Marché Commun plus la Grande Bretagne, peut-être l’Irlande et les pays scandinaves selon des modalités à définir- vont constituer une Europe politique fédérale. Mais parce que chaque individu éprouve le besoin de se situer dans un milieu restreint, il s’identifiera à une province, que ce soit le Wurtemberg ou la Savoie, la Bretagne, l’Alsace-Lorraine ou le pays Wallon.

    « Dans ces conditions, la structure qui va disparaître, le verrou qui doit sauter, c’est la Nation parce qu’elle est inadaptée au monde moderne : tantôt trop petite, tantôt trop grande. »

    baron Edmond de Rothschild  (dans "Entreprise" - Juillet 1970) 

     

    petite précision relativement importante : En cette veille du premier tour de l'élection présidentielle où toute propagande électorale (pro ou anti) est strictement interdite voire réprimée, ne surtout pas chercher dans ce petit article anodin une quelconque allusion à tel ou tel candidat favori ou pas, ni à un sujet polémique parfois abordé au cours des derniers meetings et débats. 

    Avec les Rothschild & C° 

    ... juste la nostalgie de quelques souvenirs scolaires d'histoire-géo disparus.

    On dit ça comme ça...

     

     

     

     

     


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    PSEUDO AVERTISSEMENT !

    Je n'ai, bien sûr, aucune compétence pour juger de la valeur ou de la qualité d'un article paru dans une revue médicale très correcte et de bon niveau réservée aux professionnels avertis, encore moins pour juger du rôle et de l'efficacité du "Haut conseil de la santé publique", ni pour juger de la pertinence et de l'opportunité de la démission de l'un de ses membres, peut-être parmi les plus éminents.

    Je poste simplement cet article qui devrait, à n'en pas douter, intéresser quelque lecteur familier du sujet en général, et qui n' aurait pas eu connaissance de ces faits, ou qui les aurait oubliés.

    Quand-même.. J'aimerais ajouter, à titre strictement personnel, que je suis fort étonné que les "antivax" et autres "complotistes" ne soient apparemment pas exclusivement l'apanage de la foultitude des crétins extrémistes à gilet jaune qui ne sont rien et ne comprennent rien à la science à la Science et au progrès, ni même des suppôts de gourous charlatans comme Raoult, Perronne, Montagnier ou Fouché, mais aussi de gens bien propres sur eux qui ont longtemps tout fait pour ne pas faire de peine à messieurs Macron, Véran et autres Delfrassy et Hirsch ou Salomon (etc.), jusqu'au jour où...

     

    Le professeur François Alla est (entre autres) professeur de Santé Publique, spécialiste du Droit de la Santé, chef du service de 'Soutien méthodologique et d’innovation en prévention' au CHU de Bordeaux, spécialiste en 'intervention, organisation et promotion de la santé', etc....

    Moins connu que ses estimables confrères les docteurs Jérôme Marty ou Laurent Alexandre, il n'en était pas moins un élément non négligeable dans la 'lutte' contre la 'pandémie', en tant que membre du "Haut Conseil de la santé publique", une instance chargée d'apporter une "aide à la décision au ministre de la Santé en réalisant des rapports et en lui formulant des recommandations, réflexions prospectives et conseils", où il était vice-président de la "Commission maladies chroniques". Jusqu'à sa récente démission le 5 janvier. Sans perte ni fracas. 

    « Il considère que le "Haut conseil" ne dispose pas des moyens suffisants pour mener à bien ses missions. Et juge que les expertises des scientifiques du HCSP sont dévoyées par les politiques. »

    "C’est devenu très dur pour un expert de dire : "Je ne suis pas tout à fait d’accord avec les politiques" [...] Les gens sont tétanisés, ils ont peur de passer pour des antivax ou des complotistes."

    Il s'en est expliqué longuement dans "le Quotidien du Médecin" du 24 janvier :

     

    Antivax et complotistes 

    "J'ai démissionné du Haut Conseil de la santé publique car les experts n’ont pas joué leur rôle durant la crise sanitaire"

     

    • Pourquoi avez-vous démissionné du Haut conseil de la santé publique ?

    « Je voulais tout d’abord dégager du temps pour remplir ma nouvelle mission à la présidence de la Conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA) de Nouvelle Aquitaine. Mais j’ai également démissionné parce que les experts du HCSP et les agences (HAS, Santé publique France, etc.) n’ont pas joué leur rôle durant la crise sanitaire. Celui-ci consiste à élaborer de l’aide à la décision, y compris quand elle ne va pas dans le sens du décideur ! Or, cette aide à la décision s’est transformée en service après-vente de décisions qui étaient déjà prises en amont.

    « Dernier exemple en date, l'article récent sur l’impact du passe sanitaire sur le taux de vaccination, la santé et l'économie. Il ne s’agit pas véritablement d’une expertise, mais d’un "travail alibi". Il a été porté par le Conseil d'analyse économique (CAE), qui est rattaché à Matignon et présidé par Philippe Martin, ancien conseiller économique d’Emmanuel Macron.

    « Parmi les signataires de ce papier, il y a aussi un membre du Conseil scientifique, le Pr Arnaud Fontanet, qui a milité pour le passe sanitaire. Donc, ce n’est pas un travail scientifique indépendant, au sens d’absence de conflits d’intérêts avec le pouvoir politique. D’autant plus que ce focus a été publié le 18 janvier, soit deux jours après le dépôt d'une saisine du Conseil constitutionnel sur le passe vaccinal.

     

    • En dehors du passe sanitaire ou vaccinal, en quoi l’expertise scientifique n’a pas joué son rôle depuis le début de la crise ?

    « Souvenez-vous des positions sur le masque au début 2020. Le HCSP, comme les autres instances d’ailleurs, a clairement suivi les positions publiques des politiques qui affirmaient que le masque ne servait à rien. Or, son rôle d’instance sanitaire aurait dû consister à dire : "Le masque est nécessaire, c’est un outil de réduction des risques". Ce sont des choses que les experts savaient, mais ils se sont censurés pour "ne pas mettre le ministre de la Santé en difficulté", comme cela m'a été dit.

    « Macron avait dit : "On est en guerre...". Donc, on ne pouvait pas contredire les affirmations du directeur général de la santé ou du ministre qui avaient dit que c’était inutile, voire dangereux. Sur le masque, même si on pensait autre chose, il ne fallait pas le dire. Dans l’avis que j’ai écrit en mars 2020, j’ai parlé du masque. Le ministère de la Santé m’a clairement fait remarquer que cela n’était pas politiquement correct d’en parler.

    « On assiste aujourd’hui à un processus de décrédibilisation de toute voix discordante. C’est devenu très dur pour un expert de dire : "Je ne suis pas tout à fait d’accord avec les politiques". Car on risque de nous faire entrer dans le camp des complotistes. Il est par exemple devenu difficile d’émettre le moindre doute sur la politique de vaccination. Les gens sont tétanisés, ils ont peur de passer pour des antivax ou des complotistes.

     

    • D’autres raisons vous ont-elles poussé à démissionner ?

    « Le HCSP manque cruellement de moyens. À titre d’exemple, j’ai piloté un avis complexe, relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique, publié en novembre dernier. 6 000 articles sont sortis ces dernières années sur le sujet, j’ai dû me charger moi-même de la revue de la littérature, le soir et le week-end ! Pire, pour nous accompagner, nous avons un seul chargé de projet salarié du Haut conseil, mais il est mobilisé sur dix avis à la fois…

    « On ne peut pas s’appuyer uniquement sur du bénévolat sur des sujets aussi complexes qui nécessitent de faire la revue de la littérature, des entretiens, de rédiger, de communiquer sur l’avis. Durant la crise sanitaire, le HCSP a fourni un travail exceptionnel. Les experts ont travaillé jour et nuit sur leur temps personnel, n’ont pas pris de vacances. Cela n’est même pas reconnu par le recrutement de deux à trois chargés de projet… Je pense aussi que le HCSP doit se donner les moyens au niveau de la prévention et de la promotion de la santé.

     

    • C’est-à-dire ?

    « Un peu avant mon départ du HCSP, j’ai milité pour que l’on se dote à nouveau d’une commission dédiée à la prévention. La France a des performances médiocres dans le domaine : mortalité prématurée extrêmement forte, inégalités sociales et territoriales importantes. Tout le monde est d’accord pour faire ce virage préventif qui nécessite une expertise sur la prévention. Or, ce champ est aujourd’hui complètement vierge, car le HCSP et les agences sanitaires ne s’emparent pas du sujet. C’est dramatique.

     

    • Pourquoi affirmez-vous que le HCSP ne s’empare pas du sujet de la prévention ?

    « Parce que l’expertise en prévention dérange les décideurs. Par exemple, sur le sujet de la couverture vaccinale, on sait que la moitié des non vaccinés ne sont pas des 'antivax', mais des personnes âgées isolées qui vivent loin des centres de vaccination, des SDF, des migrants qui parlent mal le français, des personnes qui n’ont pas accès à internet… Une politique de prévention efficace, c’est aussi s’intéresser à ces déterminants structuraux : l’aménagement du territoire, les inégalités socio-économiques. Mais tout cela dérange, car cela remet en question les politiques.

    « Durant la crise sanitaire, le HCSP a émis de nombreux avis techniques mais aucun avis stratégique. Il a pourtant, normalement, une mission stratégique mais c’est le Conseil scientifique qui a fixé les axes stratégiques importants durant la crise : confinement, couvre-feu, stratégie de vaccination, etc. Le HCSP se contente d’émettre des avis techniques de mise en application. On assiste à un dévoiement complet de l’expertise.

     

     

     

     


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